Renouveler la formule magique pour faire face au défis
2019-09-22
Il est inconcevable que le PLR et l'UDC maintiennent la majorité du Conseil Fédéral avec 43.5% de part électorale seulement. Donc il faut une nouvelle majorité. Le PS ne peut revendiquer un troisième siège, le PDC pas un deuxième. Il faut donc discuter du siège des Vert-e-s.
Les élections fédérales pourraient porter les Vert-e-s à 10.5 % de part électorale ce qui serait un record historique dépassant les 9.6 % de 2007. Ils dépasseraient aussi le PDC qui continue son déclin depuis 40 ans pendant lequel il a perdu plus de la moitié de son électorat.
Cependant, le PDC est dans le Conseil Fédéral et les Vert-e-s ne le sont pas. Les médias mènent ainsi la discussion si les Vert-e-s y devraient être représentés, au nom de la formule magique, terme inventé par l’ancien rédacteur en chef Willy Bretscher pour désigner la grande coalition des quatre partis PLR, PDC, UDC et PS afin de faire représenter les forces importantes à la proportionnelle selon la formule 2-2-2-1 : les trois plus grands partis ont deux sièges, le quatrième un siège.
C’est aussi en 2003 que Toni Brunner revendiquait un deuxième siège pour l’UDC au nom de la proportionnelle. Il a argumenté que le PDC qui détenait 2 sièges à l’époque, était surreprésenté avec 14.3 % de part électorale. Il inventait le terme de la concordance arithmétique.
Si on appliquait la proportionnelle façon Hagenbach-Bischoff, il est clair que les Vert-e-s auraient droit à un siège au Conseil Fédéral. Cependant ce n’est pas le PDC qui serait surreprésenté, mais le PLR avec 16.7 %.
Mais cela ne se passera pas comme ça. Le Conseil Fédéral est élu par la chambre fédérale. Pour être élu, il faut faire 124 voix sur 246 conseillers nationaux et conseiller des états. C’est la seule majorité qui compte.
C’était pareil dans le passé. En 1919, PLR et PDC avait ensemble une part électorale de 49.8 % seulement, mais ils étaient majoritaires à 60.5 % aux chambres fédérales. Ceci leur permettait d’obtenir tous les 7 Conseillers Fédéraux pour eux seuls. La repartition entre les deux partis était d’ailleurs tout sauf proportionnelle : Le PLR obtenait 5 sièges avec 28.8 %, le PDC 2 sièges avec 21.0 %.
1928, le PLR et le PDC intégraient l’UDC (qui s’appelait encore PAB) pour former le premier gouvernement qui était vraiment majoritaire avec 64.6 % de part électorale. La repartition alors 4-2-1. C’était une coalition bourgeoise contre le parti socialiste. Le PS était désormais le plus grand parti du pays (27.8 %) et il allait le rester jusqu’à 1999.
C’est seulement 1943, pendant la guerre et suite à l’apaisement des syndicats (Friedensabkommen), que le PS obtient 1 siège : On est donc arrivé à une grande coalition de 4 parties qui représentait 83.5 % de la population : 3-2-1-1. Cependant, le PS ne se contentait pas de ce siège. Dans les années 50, il partait en opposition (« c’est 2 sièges ou aucun ») pour obtenir le deuxième siège en 1959 malgré une légère perte de part électorale (27.0 à 26.4 %) et de sièges à la chambre fédérale (58 à 53). Le PS n’a pas obtenu son 2e siège dans les urnes, mais à la table ronde. Ainsi on comprend l’irritation du rédacteur en chef de la NZZ qui se moquait de cette « formule magique ».
La formule magique de 1959 c’était donc 2-2-2-1. Les partis au pouvoir représentaient 84.9 % de part électorale, c’était un record de légitimation. La répartition entre les partis était fixe PLR-PDC-PS-UDC. Les rapports de part électorales restaient les mêmes entre les partis pendant 30 ans. L’UDC gardait aussi son siège quand il passait à 9.9 % en 1975. Dans les élection des Conseillers Fédéraux, les autres partis arrivaient à contester des candidats, mais jamais le parti.
Cependant, le paysage des partis changeait dans les années soixante et septante, et la grande coalition s’effritait. De 1959 à 1991, la part électorale de la grande coalition baisse de 84.9 % à 69.4 %. Puis, de 1991 à 1999 l’UDC montait de 11.9 à 22.5 % et revendiquait un deuxième siège au détriment du PDC qui avait baissé de 18.0 à 15.9 %. Cependant, dans les chambres fédérales, les deux partis étaient presque à force égale (PDC 50, UDC 51) et l’UDC échouait.
En 2003, l’UDC grimpait encore de 22.5 à 26.7 % et renforçait sa députation de 51 à 63, tandis que le PDC baissait de 50 à 43. Cette fois, avec l’aide du PLR, l’UDC obtenait la majorité pour changer la formule magique en PLR-PS-UDC-PDC. Fait inédit aussi, les chambres destituaient une Conseillère Fédérale sortante. Ce nouveau gouvernement représentait 81.7 % de part électorale.
Après ce coup de théâtre, le jeu était ouvert, et il suit l’histoire que l’on connaît. En 2007, les chambres fédérales destituaient de leur tour le Conseiller Fédéral UDC sortant pour le remplacer pour un autre membre de l’UDC qui se faisait immédiatement exclure du parti. La formule magique incluait désormais 5 partis en formule 2-2-1-1-1 PLR-PS-UDC-PDC-PBD. Cette formule tenait 8 ans.
En 2015, après que l’UDC avait atteint un record historique de 29.4%, la formule de 2003 a été rétablie. Cependant, la légitimité est moindre. Le gouvernement représentait encore 76.3 % de l’électorat.
En 2019, si les sondages se confirment, ce gouvernement représentera encore 72.4 % de la population. 27.6 % les électeurs et électrices ne seront pas représentés.
C’est cette question que le nouveau parlement doit se poser. Si on laisse tout comme avant, 2-2-2-1, le gouvernement a une légitimité historiquement basse depuis la deuxième guerre mondiale. Elle était seulement plus base 1987 et 1991, avant la crise institutionnelle de la Suisse.
Si le parlement est sage, il comprendra qu’il faut intégrer toutes les forces importantes du pays, soit une formule 2-2-1-1-1 PS-UDC-PLR-PDC-Verts avec une légitimité de 82.9 %.
Comme en 1959, cette nouvelle formule ne pourra pas être créée en rapport de force et par coups de théâtre, mais par négociation et tables rondes. Mais cette nouvelle formule sera nécessaire pour faire face aux immenses défis avec lesquels notre pays et notre planète sont confrontés.
Matthias Bürcher
Statistiques historiques de la part électorale et des élus des partis gouvernementaux : formulemagique.xlsx