EFAS non mais oui

2024-11-02
Quand j'étais enfant, dans l'hôpital il y avait un tableau devant chaque lit de malade. Les infirmières mesuraient la température deux fois par jour et reportaient la valeur sur un graphique, la courbe de la fièvre. Pour beaucoup de gens, ce graphique a probablement été leur première expérience des statistiques. La température était l'indicateur le plus important de l'urgence d'un patient. C'est pourquoi elle était mesurée non seulement pour les cas de grippe, mais aussi pour les bras cassés.

La température moyenne de 37 degrés devient dangereuse lorsqu'elle approche les 40 degrés, mais elle peut dépasser les 41 degrés chez les nourrissons. En général, la maladie se termine bien, la température redescend à 37 degrés et vous quittez l'hôpital.

Les courbes dont je vais parler ne redescendent pas. Les coûts des soins de santé, ou plutôt les coûts des soins, car notre politique est moins une politique des soins de santé qu'une politique des soins, voire une politique des coûts des soins tout court, et ces coûts ne cessent d'augmenter. La courbe ne connaît qu'une seule direction, vers le haut.

En 30 ans, de 1992 à 2022, les coûts de la santé en Suisse sont passés de 32 milliards à 91 milliards, c'est-à-dire qu'ils ont presque triplé.

Coûts de la santé en Suisse 1992-2022


Cette courbe ne dit pas tout de ce qui s'est passé en Suisse au cours des trente dernières années. L'augmentation de la population s'est accompagnée d'une augmentation de la production économique. Au cours de la même période, le produit intérieur brut (PIB) est passé de 394 à 781 milliards. Pour mettre cela en perspective, nous divisons les coûts des soins de santé par le PIB. En trente ans, les coûts des soins sont passés de 8,2 à 11,7 % du PIB. Il s'agit d'une augmentation qui n'est pas toujours linéaire, car à certaines périodes, comme avant le krach bancaire de 2008, le PIB a connu une croissance très rapide.

Coût des soins en pourcentage du PIB 1992-2022


Que représentent 11,7 % du PIB ? Cela signifie que les soins de santé constituent une branche de premier ordre de notre économie. Chaque 8e franc est gagné (ou dépensé, selon le point de vue) dans l'économie des soins. C'est plus que le secteur bancaire.

Mais l'économie des soins crée aussi une valeur directe pour notre qualité de vie. Nous vivons plus longtemps. En 30 ans, l'espérance de vie a augmenté de 4 ans pour les femmes (de 81 à 85 ans) et de 8 ans pour les hommes (de 74 à 82 ans).

Espérance de vie des femmes et des hommes 1992-2022


Mais le système de santé doit aussi être financé. Et là, la Suisse a choisi l'un des systèmes les plus injustes au monde (en plus d'être l'un des plus chers). Une grande partie des coûts est payée de sa poche, par le biais des primes ou des factures. Mais au moins, les gens ont le droit de s'assurer. Il est difficile d'imaginer le système encore plus coûteux et injuste des États-Unis, où l'assurance est presque impossible sans un contrat de travail avec un bon employeur. Et si vous êtes malade, la compagnie d'assurance inscrira des réserves dans la police. Je me souviens de cet épisode des Sopranos où même le chef de la mafia n'avait rien à dire contre l'avis de l'expert en assurance qui disait à l'hôpital qui pouvait rester et qui devait partir.

Actuellement, sur les 91 milliards, 34 milliards sont payés par les primes du régime Lamal d'assurance maladie obligatoire. Mais les assurés paient également des assurances complémentaires pour 8 milliards et 20 milliards simplement sur facture, soit par le biais d'une quote-part, d'une franchise ou de coûts que l'assureur maladie ne veut pas prendre en charge. Cette partie m'a surpris. L'assurance maladie obligatoire et complémentaire ne couvre que 68 %. Les patients paient déjà 32 % directement, et tout le discours sur la surconsommation n'a pas vraiment de sens. 8 milliards d'euros sont couverts par d'autres assurances sociales. La main publique ne prend qu'une part mineure : 16 milliards pour les cantons, 3 milliards pour les communes et 2 milliards pour la Confédération.
Ainsi, 68 % sont payés par l'individu, 9 % par les cotisations salariales et 23 % par les impôts.

C'était mieux avant ? Non. Il existe des chiffres pour 1995. 75 % sont payés par l'individu, 11 % par les cotisations salariales et 14 % par les impôts.

Financement des soins de santé 1995-2022


Pour rendre le système plus équitable, il faudrait réduire la part payée par tête et augmenter la part payée par les impôts.

Mais le système actuel de financement des soins est bien plus complexe que ce qui vient d'être décrit. Le financement dépend de la catégorie de soins et du canton.

Financement des soins 2022 par activité

=

AmbulatoireStationaireLongue duréeAutres
Conf0200002074
Cantons418122328232059
Communes311824563290
Lamal23009852411781793
Ass_soc20823784938777
Comp26933197561793
Patient1336262020300
Divers0000120500

On peut distinguer les soins ambulatoires, c'est-à-dire quand on va chez le médecin, qu'on suit une thérapie et qu'on va à l'hôpital, mais qu'on n'y passe pas la nuit. Ils représentent 42 milliards, financés essentiellement par l'assurance obligatoire (23 milliards), les assurances complémentaires (3 milliards) et directement par les patients (13 milliards). La main publique est quasiment absente (sauf pour la réduction des primes).

Les soins stationnaires, c'est-à-dire l'hospitalisation d'une nuit, coûtent 36 milliards. Les cantons paient 12 milliards, l'assurance obligatoire 9 milliards, les assurances privées 3 milliards et les patients directement 6 milliards.

Pour les soins de longue durée, notamment les EMS pour personnes âgées, c'est 4 milliards, dont 1,4 milliard à la charge des cantons et des communes, 1,2 milliard à la charge de l'assurance obligatoire et 1 milliard à la charge des assurances sociales.

Pour compliquer les choses, ces chiffres ne sont que des totaux. La part assumée par chaque acteur dépend du canton.

On parle assez dans la presse des effets secondaires de cette construction complexe, comme le fait qu'il est plus rentable pour les assureurs-maladie d'envoyer les personnes âgées en EMS, même si elles se sentiraient mieux chez elles et que les soins à domicile coûteraient moins cher.

Mais il est clair qu'une politique de soins n'est pas possible lorsque chaque changement dans les mécanismes affecte les joueurs différemment. Dans cette constellation, chacun défend sa propre position et bloque le changement.

C'est là qu'intervient l'EFAS, qui fait l'objet du vote. La loi unifie le financement des trois domaines. Le canton ne paie plus directement les hôpitaux et les soins de longue durée ; sa part est prise en charge par l'assurance obligatoire, qui peut refacturer au moins 26,9% au canton.

Il ne s'agit pas d'un financement global, mais de la part actuellement supportée par la collectivité publique et l'assurance obligatoire. Cela représente 23 milliards pour les soins ambulatoires, 21 milliards pour les soins stationnaires et 2,6 milliards pour les soins de longue durée. Sur ces 46,6 milliards, les cantons paient actuellement 13,4 milliards (29%) et les caisses maladie 33,2 milliards (71%). La part des assurances complémentaires (8 milliards), des assurances sociales (8 milliards) et la part payée directement par les patients (20 milliards) restent inchangées.

Cela va-t-il faire baisser les coûts ? La Confédération pense gagner quelques centaines de millions en efficacité en remplaçant les soins stationnaires par des soins ambulatoires. Mais cela n'a pas de poids.

Cela donne-t-il plus de pouvoir aux compagnies d'assurance ? Oui, mais non. En payant une part plus importante, elles gagnent en pouvoir de négociation. Dans le cas des soins de longue durée, le risque est qu'elles veuillent faire pression sur les coûts, et donc sur les salaires des soignants, qui sont les moins bien payés de l'économie des soins. Toutefois, les compagnies d'assurance devront désormais fournir gratuitement des données aux cantons. Actuellement, les soins ambulatoires sont une boîte noire pour les cantons. Avec la nouvelle loi, ils auront une vue d'ensemble de tous les domaines de soins.

Cela se traduit-il par des primes plus élevées ? Cela dépend du canton. Le pourcentage pour les cantons a été calculé sur la moyenne de la participation des cantons avant 2019. Certains cantons, notamment en Suisse romande, sont en dessous de ce niveau, donc il devront augmenter leur part et la prime baisse. Mais il y a aussi des cantons au-dessus qui pourront baisser leur participation et se faire une santé financière sur le dos des patients. Dans ce cas la prime augmente. La bataille pour un financement équitable doit être menée dans chaque canton.

Une intervention stationnaire coûte-t-elle plus cher au patient parce que la part du patient est payée sur la totalité des coûts ? Oui, mais non. Calculer les coûts sur la base d'une seule intervention est une fiction. Une personne consulte un médecin plusieurs fois par an et la quote-part maximale de 700 couvre l'ensemble.

Ce qui me fait dire oui, c'est une vision systémique. Quand il y a deux systèmes, et qu'il n'est pas évident de savoir lequel est le plus juste, il faut opter pour le système le plus simple, le plus transparent, qui vous donne une plus grande marge de manoeuvre. Si la nouvelle loi était à l'inverse et proposait de remplacer un système unique par le système actuel plus complexe, vous la soutiendriez? Ce que je pensais.

La bataille politique sur les coûts se déplace vers les cantons, et elle ne sera pas facile, car elle entre dans le débat sur les budgets et les finances cantonales. Mais elle a le mérite d'opposer directement la prime par tête à un financement progressif par l'impôt. Le taux de 26,9 % est un minimum. Si un canton veut aller plus haut, il le peut et - contrairement à aujourd'hui où il finance les hôpitauxm donc des institutions et pas la population - on voit directement l'effet de son action.

Nous pourrions même regarder plus loin. La nouvelle loi ouvre une fenêtre d'opportunité pour les cantons progressistes. Avec EFAS, une initiative cantonale pourrait proposer que le canton finance pas seulement 26,9 %, mais 50 %, voire 90 % des coûts, ce qui aurait l'effet d'une caisse unique d'assurance maladie financée avec des primes progressives - et serait tout à fait compatible avec la législation fédérale.