La première génération de Cinéforom
2015-07-01
Matthias Bürcher, 1er juillet 2015
La Fondation romande pour le cinéma n’a que quatre ans, mais le départ du secrétaire général Robert Boner annonce déjà un changement de génération. La procédure de succession a été suspendue car le Conseil de Fondation n’a retenu aucun des candidats que le bureau du Conseil lui a proposés. Cette décision a ses inconvénients pratiques, mais elle permet d’élargir la discussion sur la succession auprès de la profession.
Je ne sais pas si je ferai partie de la deuxième génération de Cinéforom, mais il me paraît important de rappeler certains principes qui nous ont guidés lors de la mise en place du secrétariat. Le texte qui suit peut donc, selon la suite des événements, être une proposition de programme ou simplement un héritage d’un membre de la première équipe.
L’activité principale de Cinéforom, le soutien à la création cinématographique, s’exerce dans un champ de forces qui caractérise tout soutien public à la culture. D’une part, le soutien de l’État est essentiel pour la création cinématographique car cette activité est coûteuse sans pour autant être rentable. Cette condition est valable dans toute l’Europe mais particulièrement dans une petite région comme la Suisse romande. D’autre part, un État qui se veut démocratique et libéral ne peut vouloir instaurer une culture d’État. Ce n’est pas à l’État de mettre en place une ligne éditoriale pour définir les films qu’il faut faire, mais aux cinéastes qui sont, eux, à l’origine de la création et de la diversité. L’État n’a pas d’agenda pour l’art, puisque ce dernier a pour but essentiel de nous renvoyer un reflet de la société, en la questionnant, en la provoquant et d’endosser ainsi le rôle salutaire d’expert entêté. Si l’État intervenait dans la production, la fonction de l’art s’avérerait aussi vaine que si un patient dictait le diagnostic à son médecin ou si une banque modifiait le rapport de son organe de révision. La liberté artistique inclut que l’artiste puisse critiquer l’État sans devoir craindre de ne pas être soutenu.
L’État doit donc encourager l’art sans le contrôler, et le cadre de la fondation privée me paraît créer la bonne distance entre État et l’artiste. La forme de la fondation permet une certaine indépendance de l’État tout en imposant la gouvernance qui se doit quand on dépense l’argent du contribuable. Partant de ces principes, nous avons mis en place, avec le soutien du Conseil et de la profession, des outils modernes, réactifs et transparents.
Les outils sont modernes car ils combinent l’aide sélective au soutien complémentaire. Cinéforom n’a inventé ni le soutien complémentaire (qui existait déjà dans Regio) ni l’aide sélective. Mais l’interaction entre les deux instruments en fait un soutien très performant, car elle permet de jouer en même temps sur deux claviers : celui de l’initiateur et celui du facilitateur. En recourant au soutien complémentaire, Cinéforom reconnaît que d’autres commissions d’aide sélective peuvent avoir raison et réduit ainsi le côté dramatique d’un refus en aide sélective. Cette interaction est pour autant très dynamique et elle demande une observation constante du marché et un ajustement des taux en conséquence.
Les outils sont réactifs, car nous avons mis en place une administration, qui permet – par la technologie du guichet en particulier, mais aussi par un règlement léger et par une attention des responsables des soutiens – d’être à l’écoute des producteurs et de répondre à leurs impératifs. Cinéforom est maintenant reconnu dans la profession pour être accessible au moment de la préparation des dossiers, communicatif sur les décisions et rapide pour les paiements.
Finalement, les outils sont transparents car nous gérons l’argent public et nous devons rendre des comptes. Le meilleur moyen d’éviter des conflits d’intérêts est de communiquer clairement et précisément. Les commissions suivent le principe de rotation et les règles de récusation sont strictes. Les décisions passent par un contrôle interne documenté et sont publiées sans délai sur notre site. Cinéforom a aussi créé des instruments statistiques uniques en Suisse qui ne renseignent pas seulement sur nos aides, mais aussi sur l’activité de la production de manière plus générale. Ces instruments nous servent pour le pilotage et permettent, en étant partagées sur le site, à tout chacun de faire ses propres analyses.
Cette activité demande un secrétariat qui est proche de la profession, pour évaluer ses attentes, analyser la situation et prendre des mesures à temps.
Un changement de Secrétaire général dans une petite structure comme Cinéforom (3.1 équivalents de plein-temps) peut induire, selon le successeur, un changement dans l’organisation interne. Mais l’organigramme de la Fondation et le profil du Secrétaire général doivent tenir compte de l’exigence professionnelle. Si la responsabilité de la bonne gestion des 10 millions de francs de fonds publics n’est pas au premier plan du cahier des charges, la fondation met en jeu sa stabilité.
Une bonne gouvernance exigerait une séparation des tâches. Le rôle du secrétariat serait d’assumer la bonne gestion, celui du bureau du Conseil - avec une présidence renforcée et rémunérée - serait d’assumer et de développer le financement. Au sens plus large, si la Fondation négociait les contrats de prestations avec les pouvoirs publics, ce serait aux acteurs de la société civile, donc à la profession, d’œuvrer politiquement pour une amélioration du financement.
Cela ne veut pas dire que le Secrétaire général ne serait pas concerné par le financement. Étant l’interlocuteur des producteurs romands, des autres institutions (OFC, SSR) et des autres acteurs de la profession (réalisateurs, techniciens, acteurs, distributeurs et exploitants), il devrait identifier les besoins, discuter, concevoir et négocier des nouveaux instruments avant de développer un argumentaire. Car on sait que dans le contexte actuel, il n’est pas possible d’obtenir une augmentation générale « pour la production ». Des financements supplémentaires ne sont possibles que dans des domaines bien identifiés et avec des instruments novateurs.
Une deuxième génération d’une institution n’est pas forcée de suivre le chemin tracé par la première et peut faire ses propres preuves. Ce que je voudrais pourtant laisser comme message est la raison d’être de cette institution : créer un cadre qui permette la liberté artistique, promette la diversité et maintienne l’esprit critique des cinéastes, tout en les professionnalisant. Ce qui ferait aussi un peu, je l’espère, avancer notre société.
Matthias Bürcher, 1er juillet 2015