La crise du quatrième pouvoir

2018-09-19

Tout le monde est d’accord pour dire que l’information est essentielle pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Toutefois, la numérisation est en train de transformer profondément le modèle économique de l’information, quitte à la mettre en danger.

Le temps où le papa allumait la radio à midi et que toute la famille devait écouter silencieusement les nouvelles est passé depuis longtemps. La numérisation nous a tous transformés de récepteurs en émetteurs: nous ne lisons pas seulement des nouvelles, nous les produisons nous-même. Il est à la portée de tous de s’exprimer sur un blog ou sur un réseau social pour atteindre ses proches. Dans son ensemble, la diversité de l’information a augmenté comme jamais, même si on reste souvent dans son groupe d’intérêt, donc dans sa bulle.

Cependant, dans une démocratie directe, il y a des sujets qui doivent être négociés et discutés par la société dans son ensemble. Il faut des informations pertinentes et des faits vérifiés, il faut des journalistes professionnel/le/s qui posent des questions à l’administration et au pouvoir. Il nous faut donc des journaux, des radios, des télévisions qui traitent ces informations et qui organisent le débat démocratique.

Le financement de la radio et de la télévision a été mis en question en 2018 et heureusement le peuple a soutenu le service public en mars en votant clairement contre No Billag. Les journaux, par contre, se trouvent dans une spirale infernale, et il ne se passe plus un mois sans annonce de restructuration ou de licenciements.

Le public des médias s’est déplacé et les éditeurs le sentent. Je ne vois pas mes enfants lire le journal le matin. Les premiers médias consultés sont maintenant Facebook, Instagram, WhatsApp, un journal gratuit, avec loin derrière la RTS et encore plus loin les journaux payants. Le tirage des grands journaux a baissé de 30% les dix dernières années. Avec eux, la publicité est aussi partie et les cahiers des journaux sont de plus en plus minces.

On peut critiquer à juste titre les éditeurs zurichois qui cherchent une rentabilité de 15%. Mais leur dilemme est réel. S’ils veulent maintenir une capacité de ne pas seulement reporter des dépêches, mais d’investiguer, de vérifier, de créer leurs propres histoires, ils doivent mettre les rédactions ensemble. Mais ils le font au détriment de la diversité. On se dirige donc vers une rédaction unique par région linguistique.

La concentration des rédactions n’a pourtant rien d’efficace pour l’information qui en est produite. Elle est néfaste pour la démocratie. Il importe que les mêmes faits soient analysés et commentés par plusieurs rédactions indépendantes. Si la presse écrite n’y arrive plus, il faudra réfléchir à créer la diversité à l’intérieur du service public.

L’OFCOM qui a proposé la nouvelle loi sur les médias électroniques est conscient de ces problématiques. On retrouve plein d’analyses juste dans ses rapports. On regrette d’autant plus qu’il n’a pas eu le courage de repenser le paysage médiatique dans son ensemble. La loi proposée limite son application à la vidéo et à l’audio, quand bien même tout le monde sait que le texte est au centre de la production de l’information. L’OFCOM renonce à une aide directe à la presse au nom de la liberté de la presse tout en ignorant l’interaction entre les médias. C’est donc une loi provisoire qui fait un pas dans le bon sens mais qui va vite être dépassée.

L’interaction entre les médias électroniques et la presse est notamment économique. La publicité des journaux n’a pas disparu, elle s’est déplacée. Aujourd’hui, les fenêtres publicitaires des télévisions étrangères comme TF1 ou M6 font 350 millions de francs de chiffre d’affaire, donc autant que la SSR, sans participer à la production des contenus suisse. Les moteurs de recherche, sans nommer Google, font des recettes publicitaires de 1.3 milliards par année en Suisse. Les télécoms Swisscom et UPC gagnent plusieurs milliards pour des abonnements internet et mobiles qui servent essentiellement à regarder des nouvelles et des vidéos en lignes. Ce ne sont donc pas les fonds qui manquent. Un faible prélèvement sur ces revenus permettrait de créer un fonds pour financer le journalisme, sans créer une dépendance de l’Etat.

Nos pays voisins réfléchissent à réguler ce marché selon le principe que celui qui gagne de l’argent avec les contenus doit aussi participer à les financer. La Suisse ferait bien de s’en inspirer, non pas pour suivre l’Union Européenne, mais pour sauver ses propres médias.